On use souvent de l’expression « les peintres témoins de leur temps » mais, en fait, comment pourrait-il en aller autrement ? L’art est toujours contemporain de son époque et les artistes, quels qu’ils soient, en sont comme une caisse de résonance. Dans un monde bousculé comme est le nôtre, le rôle et la fonction de l’artiste est plus que jamais d’éveiller la conscience collective aux dérives qui le minent. Picasso, en son temps, s’était exclamé : « Que croyez-vous que soit un artiste ? », s’exclamait jadis Picasso. Un imbécile qui n’a que des yeux s’il est peintre, des oreilles s’il est musicien, ou une lyre à tous les étages du cœur s’il est poète, ou même s’il est boxeur, seulement des muscles ? Bien au contraire, il est en même temps un être politique, constamment en éveil devant les déchirants, ardents ou doux événements du monde, se façonnant de toutes pièces à leur image. »
Barthélémy Toguo et Duncan Wylie nous sont apparus partager ce même statut. Le choix qui a été fait de les réunir dans l’unité d’une même exposition tient non seulement à cela mais au fait qu’ils sont nés et ont été élevés tous deux en Afrique puis qu’ils se sont installés en France pour parfaire leur formation et gagner leur reconnaissance. Si l’un est originaire du Cameroun, développe une œuvre polymorphe qui emprunte tant au dessin et à la photographie qu’à la vidéo et à la performance, partageant sa vie entre Bandjoun et Paris, l’autre, d’origine anglo-saxonne, né au Zimbabwe, est pleinement peintre et dessinateur et vit entre Londres et Paris. Par-delà les différences qui sont les leurs, ce qui les rassemble est le regard qu’il porte sur le monde. Non point dans une même dynamique de création mais dans une même posture de réflexion humaniste.
Tandis que Barthélémy Toguo, dont le parcours atteste une forme permanente de nomadisme, est toujours prompt à se rendre in situ, pour éprouver les pulsations du monde et y répliquer dans toutes sortes de formes d’interventions, Duncan Wylie ne cesse d’être, quant à lui, à son écoute et, par le truchement des vecteurs médiatiques, d’en ausculter les soubresaut pour les porter à la dimension du symbole. Quelque chose chez eux relève d’une semblable volonté de dire le monde, de nous interpeller sur la condition humaine - façon Malraux – et de dessiller nos yeux pour ne pas se laisser piéger par l’autorité de l’apparence.
Tandis que celui-ci dénonce inégalités et injustices, prend la défense des minorités, tout en interrogeant nos valeurs, celui-là rend compte de la réalité chaotique du monde, vilipende l’absurdité du pouvoir, tout en quêtant après un équilibre. L’un comme l’autre nous mette au pied du réel, nous invitent à prendre la mesure de ce que la condition humaine est déterminée par toutes sortes de facteurs politiques, économiques et sociétaux. Artistes de leur temps, dans leur temps, Barthélémy Toguo et Duncan Wylie n’en sont pas moins – pour reprendre la formule picassienne – des « êtres politiques » et leurs œuvres, qu’elles soient figuratives ou conceptuelles, narratives, littérales ou symboliques, composent comme un grand livre d’heures sur le monde.
Philippe Piguet,
commissaire de l’exposition.